Il y a 80 ans, le 13 avril 1942, arrivait à Rawa-Ruska, en Ukraine, (à moins de 5 kilomètres de la frontière polonaise), le premier convoi de prisonniers français….
Qui étaient-ils et pourquoi ?
Revenons un peu en arrière…
Après la débâcle de juin 1940, environ 1.800.000 soldats sont faits prisonniers, 150.000 blessés sont renvoyés en France et 1.650.000 prisonniers français sont internés dans des camps, principalement en Allemagne. Dans chacun des camps, avec, en moyenne 10.000 prisonniers, on retrouvait un reflet de la société française de l’époque: des paysans, des artisans, des ouvriers, des employés, des fonctionnaires et des entrepreneurs, avec des pétainistes et des gaullistes, des hommes de droite et des hommes de gauche, bref, la société française en « modèle réduit »…
Les prisonniers se regroupaient en amicales, par région d’origine, mais formaient aussi des groupes par affinités (football, musique, théâtre…etc..) et certains ont formé, dans la clandestinité (car il y avait des mouchards), des réseaux de résistance destinés d’une part à préparer et soutenir les projets d’évasion et d’autre part à freiner, bloquer, voire saboter le travail forcé.
Bien sûr, certains ont tenté des évasions, seuls et sans soutien… Mais il faut bien se rendre compte que pour s’évader, il faut connaître un itinéraire, déchiffrer les pancartes en langue allemande, être capable de parler en allemand, ne serait-ce que pour acheter un billet de train par exemple, disposer de monnaie allemande (la monnaie officielle était interdite dans les camps), avoir un costume civil, des faux papiers, un minimum de nourriture d’avance etc… Sans réseau de soutien les chances de réussir une évasion étaient infimes.
Combien étaient-ils, ces résistants, au sein des camps de prisonniers?
En pourcentage, très peu: moins de 5%… mais sur la population totale des prisonniers cela a toute de même permis des milliers, même quelques dizaines de milliers d’évasions réussies et plus encore d’évadés repris avant d’arriver au but.
Quant aux résistants qui ne voulaient ou ne pouvaient pas tenter une évasion, ils ont entravé le travail forcé: lenteur, refus collectifs de travailler, blocage des chaînes de production, sabotages…
Pourquoi envoyer en Ukraine les prisonniers résistants?
Alors que l’armée allemande devait se déployer sur le front de l’Est depuis juin 1941, ces prisonniers résistants obligeaient l’armée allemande à renforcer la surveillance et l’encadrement des camps tant en effectifs, qu’en qualité opérationnelle et ce, au détriment du front.
Au début de l’année 1942, alors qu’ Hitler décidait d’enclencher la « solution finale », l’armée décida, tant pour pouvoir alléger ses effectifs mobilisés à la surveillance des camps que pour augmenter la productivité du travail forcé, de conduire une épuration au sein de tous les camps de prisonniers, d’y maintenir les prisonniers dociles et d’extraire les « terroristes » en les envoyant le plus loin possible à l’Est, dans un camp spécial destiné à briser ces fortes têtes (au moins 1 sabotage ou deux évasions)…
Dès le début de son invasion de l’Ukraine, l’armée allemande avait repris, à Rawa-Ruska, un ancien casernement de cavalerie de l’Union Soviétique pour y regrouper des prisonniers soviétiques. Il fallait faire de la place pour accueillir les français: les prisonniers soviétiques furent abbattus.
La vie au camp de Rawa-Ruska:
C’est ainsi qu’après un voyage d’une semaine dans des wagons à bestiaux, les premiers prisonniers sont parvenus à Rawa-Ruska le 13 avril 1942.
Il y eu ensuite une série d’autres convois: au total près de 25.000 prisonniers (dont environ 500 Belges) et il fallut donc très vite créer des sous-camps (près d’une quarantaine).
Le camp de Rawa-Ruska n’avait qu’un seul robinet qui distribuait à faible débit une eau polluée. L’hygiène était déplorable, les épidémies de typhus permanentes. Dans des baraquements aux vitres brisées, ouverts au froid glacial en hiver ou à la chaleur étouffante en été, les prisonniers ne pouvaient dormir que sur la tranche, les uns contre les autres, allongés sur des planches de bois avec un peu de paille grouillante de vermine… La nourriture était très insuffisante (une boule pain pour 35) et de la « soupe » aux aiguilles de pins avec des restes de pommes de terres gelées.
La discipline était assurée simultanément par l’armée et par une section de SS, chargée en outre de l’extermination de la communauté juive de la ville. Les fouilles, interminables, intervenaient de jour comme de nuit.
Cela n’a pas empêché les prisonniers de sortir, le 14 juillet, un drapeau bleu-blanc-rouge confectionné en cachette et de défiler fièrement en chantant « La Marseillaise », puis « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine », sans parler de l’hymne de Rawa-Ruska qui traite Hitler d’avorton et lui promet de lui mettre « dans l’cul » ses rêves de victoire et de gloire…
A Rawa-Ruska, la Shoah par balles:
Et puis, les nuits ont été parfois peuplées de bruits de mitraillettes. Dans Rawa-Ruska, s’est mise en place la « shoah par balles ». Les prisonniers ont pu voir les charrettes de cadavres, puis les trains pour Belzec, un camp d’extermination situé à une quinzaine de kilomètres….
La fermeture du camp, et la fin du stalag 325:
A la fin de l’année 1942, avec les revers de l’armée allemande en Russie, le siège du « Stalag 325 » est passé de Rawa-Ruska à la citadelle fortifiée de Lemberg (dénomination allemande de la ville ukrainienne de Lviv). Les prisonniers ont été répartis, la plupart ont été transférés dans des camps de l’Est de la Pologne annexée, mais certains des kommandos du stalag 325 ont continué à travailler jusqu’en juin 1944, notamment pour réparer les dégâts des bombardements alliés sur les pistes d’aviation ou sur les toits des immeubles dans les grandes villes.
Le retour en France:
Du fait de leur internement dans l’Est, ils ont, pour la plupart été libérés par l’armée russe et n’ont pu rentrer en France que tardivement (entre juin et août 1945).
Devenus squelettiques, traumatisés par les sévices subis et les horreurs dont ils furent témoins, les anciens prisonniers de ce camp sont pour la plupart d’entre eux, restés muets sur ce qu’ils avaient
vécu, d’autant plus qu’à leur retour, la société française voulait tourner la page de la guerre.
Ceux de Rawa-Ruska sont ainsi restés des oubliés de l’Histoire.
Mais ils se sont retrouvés au sein de leur association, ils ont choisi pour emblème des mains qui brisent une chaîne (pour symboliser le refus de l’asservissement, qu’il s’agisse de la captivité ou l’asservissement à la doctrine nazie) surmontée par la colombe de la paix.
L’anniversaire de l’arrivée du 1er convoi:
L’Union Nationale « Ceux de Rawa-Ruska et leurs descendants » avait organisé, cette année 2022, à la date du 80ème anniversaire du premier convoi, un voyage à Lviv et Rawa-Ruska pour aller honorer les tombes des soldats français, mais aussi des soldats ukrainiens et russes victimes de l’armée allemande ainsi que les charniers où reposent une partie des populations juives massacrées à Rawa-Ruska.
Le voyage a été annulé.
Bien triste anniversaire!… la ville de Rawa-Ruska est de nouveau en guerre.
Ceux de Rawa-Ruska ont vécu dans leur chair les conséquences de la barbarie et vu de leurs yeux à quelles horreurs pouvait conduire la haine de l’autre érigée en principe politique…
Ni haine, ni oubli….
Gérard Valère
président de l’association Rhône-Alpes de « Ceux de Rawa-Ruska et leurs descendants »